Pension de Famille La Bazoche : « on a inventé le métier dont on rêvait »

L’ancien foyer de Tours accueille 14 personnes isolées et les aide à se réinsérer dans la société avec une priorité : la convivialité. Reportage.

C’est un bâtiment construit il y a 8 ans, au calme de la Rue Montaigne, derrière la cathédrale de Tours et les cinémas Studio. Les pavés viennent d’être lavés par la pluie et la balayeuse, le jardin est entretenu, et la télévision – offerte par un voisin – diffuse les clips des tubes du moment. Nous sommes à la Pension de Famille La Bazoche : 14 personnes de 30 à 66 ans y vivent dans des appartements de 25 à 32m², et chacun a son interphone. Dans des locaux loués à Tours Habitat, Ficosil a installé cette résidence sociale où l’on vient pour du long terme et où l’on peut se réinsérer en douceur dans la société, via des activités en commun mais aussi une grande indépendance.

C’est le cas pour Thierry, qui vit du RSA et des APL. Suite à trois accidents avec son bras gauche, il ne peut plus exercer son métier de peintre en bâtiment et il vivait dans un appartement insalubre de St-Pierre-des-Corps. Aiguillé ici par une assistante sociale, il cherche sa reconversion professionnelle, et a un stage programmé pour travailler en supermarché. Son logement, c’est sa fierté : il y reçoit ses amis, y cuisine ses repas, en prend soin en l’aérant généreusement même en plein hiver mais profite aussi et surtout de la vie en communauté de la Pension.

C’est inscrit dans le règlement : ici le principe c’est de prendre un repas en commun chaque jour de la semaine, en l’occurrence celui du soir. Pas d’obligation formelle et définitive mais une vive incitation. La préparation se fait en commun, dans la cuisine du rez-de-chaussée et tout le monde mange autour de la même table. C’est ce qui a poussé Thierry à signer son bail immédiatement.

L’ouverture des Pensions de Famille est une suite logique de la création du SAMU social (le fameux numéro 115 dédié à l’hébergement d’urgence) il y a presque 25 ans. « L’idée était de développer des lieux de vie pérennes » explique Delphine Picard, qui gère le réseau tourangeau des pensions : « le choix de s’y installer témoigne d’une insertion aussi réussie que le choix d’un logement classique » insiste-t-elle juste après. Financé à 100% par l’Etat (16€ par jour et par place d’hébergement), bénéficiant du réseau de la Fondation Abbé Pierre, le dispositif s’est vite développé : 15 000 places déjà créées et l’ambition d’en ouvrir 3 000 de plus à terme. « C’est un vrai outil de départ dans un parcours d’insertion et on s’autorise aussi que cela ne marche pas. »

A La Bazoche et dans les autres Pensions de Familles tourangelles (Amboise, Fondettes, Joué-lès-Tours…), il y a deux salariés, deux « hôtes ». Loïc, engagé il y a 3 ans, se définit comme « un docteur généraliste », « on répond aux premiers besoins. » Entre tous, le tutoiement est de rigueur. Il s’agit d’être disponible pour « écouter, conseiller, accompagner » les résidents, mais aussi les diriger vers le réseau « de droit commun » (assistantes sociales…) pour leurs différentes démarches.

Toute la journée il y a du monde (jusqu’à 21h le soir) mais aussi une astreinte téléphonique en permanence en cas d’urgence. « Ici on vit vraiment avec les résidents, on casse les codes du social. On peut ne pas être d’accord mais on se dit tout. Il y a une bienveillance et de la solidarité. Dès que quelqu’un a un coup dur, tout le monde est derrière lui. » « Il y a dix ans, on ne savait pas dans quoi on mettait les pieds et ce que ça allait devenir. On a été des pionniers. Aujourd’hui, on peut dire que l’on a inventé le boulot dont on rêvait » résume très joliment Delphine Picard.

Au quotidien, la vie s’organise selon l’emploi du temps de chacun. Il y a un planning pour la cuisine ou le ménage des parties communes établi lors d’un conseil des résidents qui se réunit une fois par semaine, un programme d’activité (jeux, revue de presse, loisirs…) et même des sorties : au Sénat pour rencontrer les élus voire lors de festivals organisés dans le Var (Rencontres nationales du sport solidaire) ou le Vaucluse (festival C’est pas du luxe, « un mini-Avignon »). Cette année, Tours devrait d’ailleurs organiser à son tour son festival inspiré de l’esprit Pensions de Familles : il s’agirait d’une édition de l’événement Une place à table, tourné vers les circuits courts et destiné à dénoncer la précarité alimentaire. Un beau symbole pour une ville Cité de la Gastronomie.

« Ce que l’on recherche ici c’est vraiment un esprit de famille, créer une certaine mixité » développe Delphine Picard. La priorité : que chacun se sente à l’aise. Cigarettes et alcool sont autorisés dans les logements, les animaux aussi d’ailleurs. Les studios sont meublés mais il est possible de remplacer les équipements par son propre mobilier au fil du temps. Le loyer est de 530€ par mois charges comprises (eau, électricité, buanderie, repas en commun…). Et les locataires ne paient pas la taxe d’habitation.

La preuve qu’on s’y sent bien – voire très bien – Guillaume est là depuis presque dix ans : « et je n’ai pas envie de partir tout de suite » dit-il avec un grand sourire. Les résidents ont des parcours variés. Certains ont affronté la rue, d’autres ont des problèmes d’addictions ou ont connu l’hôpital psychiatrique. Il y en a aussi un qui est arrivé suite à un burn out. Certains travaillent en ESAT (des établissements dédiés à l’accompagnement de travailleurs handicapés), d’autres sont en stage, ou cherchent un emploi comme Valérie qui habite ici depuis presque un an et espère trouver dans la restauration, sa passion.

Au final, à La Bazoche on peut trouver un grand nombre d’histoires qui se terminent bien, y compris des histoires d’amour. « Avant j’habitais à Joué-lès-Tours, je faisais des cauchemars… Mais depuis que je suis arrivée ici il y a six ans je suis soulagée. J’ai pu être soutenue dans mes coups durs. Avant je n’étais pas autonome, maintenant je le suis beaucoup » témoigne de son côté Sandrine. Des résidents qui n’hésitent pas à donner en retour et qui s’impliquent ainsi dans les combats pour sauver le foyer Albert Thomas et le café associatif La Barque, leurs voisins, situés à quelques centaines de mètres. Par exemple, ce jeudi, les résidents du foyer viendront partager un couscous dans la Pension de Famille. Samedi, plusieurs d’entre eux participeront à la manifestation de soutien à La Barque dès 14h Rue Colbert.

Une humanité et une gentillesse chez des personnes à qui la vie n’a pas fait de cadeaux également récompensées par une parfaite intégration dans le quartier. Si Delphine Picard se souvient des réticences lors de l’ouverture fin 2008, tous évoquent aujourd’hui les bonnes relations avec les autres habitants de la rue : « le deal de départ c’était de créer 14 logements luxueux et autant de logements très sociaux. » Aujourd’hui, ensemble, ils font la fête, se rendent visite, un voisin a confié ses clefs à un résident pour qu’il garde son logement en son absence, un musicien est passé jouer de la musique, une femme vient donner des cours de respiration… Bref, la mixité sociale en centre-ville, ça marche.

Olivier COLLET

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