En couple et codirigeants de leur société, contre vents et marées

Shirley et Antonello Donadoni sont spécialistes de la fibre de bois, à Château-la-Vallière. Ils ont une façon de manager audacieuse, contre les codes et les préjugés.

Shirley Donadoni ne se pensait pas faite pour diriger une entreprise, mais la vie en a décidé autrement. Le résultat c’est qu’aujourd’hui, les paris singuliers de cette femme de 42 ans à la tête des Fibreries de Touraine de Château-la-Vallière depuis 3 ans, viennent d’être récompensés par l’association Femmes 3000 de Tours. Un prix qu’elle a au départ refusé, ne l’acceptant que lorsque son mari y a été associé au nom « de la mixité entrepreneuriale ». Car c’est ensemble qu’ils travaillent au quotidien sur la stratégie de cette société quasi unique en France : « nous sommes très différents et c’est ce qui fait notre force. Notre quotidien c’est nous deux même si nous avons parfois du mal à déconnecter. »

Les Fibreries de Touraine ont vu le jour en 1938 et ont été rachetées en 1989 par les parents de Shirley Donadoni. Il s’agit d’une boîte spécialisée dans la fibre de bois (à base de peupliers de la région), utilisée pour empailler des animaux, transporter des objets fragiles ou servir de litière aux gorilles des zoos. « Mon père était un ancien militaire, très ingénieux. A son arrivée dans l’entreprise il a donc cherché une façon de faire évoluer la fibre et il a trouvé une solution pour ne plus la vendre par balles mais prête à l’emploi » raconte l’actuelle dirigeante. Une nouvelle machine est conçue et un marché se développe dès 1992 : la fibre de bois est désormais utilisée par les aviculteurs pour le transport des poussins d’un jour, très fragiles. On s’en sert également pour les cagettes de tomates, le foie gras ou les bourriches d’huîtres. Une innovation qui a peut-être sauvé l’entreprise. Alors qu’il y a eu jusqu’à 30 fibreries en France, il n’en reste plus que deux aujourd’hui, notamment à cause de la concurrence chinoise ou américaine et à l’essor de la fibre de papier, moins chère.

10 ans de redressement judiciaire et la fierté d’en sortir

Autodidacte (elle a seulement le bac), Shirley Donadoni met assez vite le pied dans l’entreprise familiale en tant que commerciale. Puis, au cours de vacances en Espagne, elle rencontre celui qui deviendra son mari : Antonello, originaire d’Italie où ils finissent par s’installer. En 1996, retour en Touraine pour la famille. Les Fibreries viennent de subir un drame : un incendie a ravagé l’entreprise l’année d’avant. Shirley et Antonello intègrent la société. Lui en tant qu’ouvrier, elle à la direction où elle restera 3 ans : « je n’aimais pas trop manager » se souvient-elle. Elle se reconvertit alors dans le secrétariat médical et la comptabilité.

Pendant longtemps, la situation est délicate pour les Fibreries de Touraine : 10 ans de redressement judiciaire. Alors qu’il y a eu jusqu’à 23 salariés, au plus bas, l’entreprise n’en compte plus que 6 mais finit par payer toutes ses dettes. En 2008, la situation est saine et les parents de Shirley choisissent de céder leur affaire. Le couple Donadoni envisage de prendre la suite : « on se lance en se disant que c’est une opportunité. J’avais connu le stress lors de mes autres emplois, et là on m’a dit ‘tu n’as pas envie de stresser pour toi ?’ » C’est le déclic, mais avec la crise ou la difficulté d’obtenir des prêts, la passation prend du temps : plus de 4 ans.

Une confiance des salariés difficile à gagner

Nous sommes désormais en 2013 et la situation n’est pas simple : autour de la directrice, une équipe d’hommes, qu’elle connait depuis près de 20 ans pour certains. Le respect et la reconnaissance sont difficiles à gagner. Et pourtant, Shirley Donadoni n’est pas le genre de patronne à ne penser qu’à ses lignes de comptes. Très vite, c’est pour le bien-être de ses salariés qu’elle entreprend des investissements. Le hic : « il fallait les convaincre qu’il n’y avait pas anguille sous roche. » Pas question de se décourager, elle poursuit dans sa voie : « on a commencé par refaire les vestiaires du personnel avant nos bureaux. » Un signal qui ne passe pas inaperçu.

Attachée aux valeurs personnelles, Shirley Donadoni entreprend aussi d’organiser des réunions régulières. Des tables rondes de 2h, sur le temps de travail : « on peut se dire que l’on va perdre de l’argent alors qu’au final on va en gagner. » Son idée : encourager les salariés à discuter de leur quotidien, de ce qui marche ou pas pour que le groupe soit plus efficace. « Ca a mis deux ans pour que cela marche vraiment » reconnait la dirigeante des Fibreries qui raconte cette anecdote : « un jour un salarié a trébuché dans un trou. Ca faisait 25 ans qu’il était là, mais personne ne l’avait jamais rebouché. On en a parlé en réunion et on a tout de suite réglé le problème. »

Embaucher une comptable de 57 ans : où est le problème ?

Un management de valeurs donc avec également l’instauration de tickets restaurants ou d’une mutuelle prise en charge à 100%, mais il ne faut pas croire que cela signifie être laxiste envers ses salariés : « du coup, nous sommes très stricts sur la sécurité, c’est pour leur bien. Il faut qu’ils puissent comprendre que s’ils ne respectent pas les règles, ils seront sanctionnés » détaille Shirley Donadoni qui tente alors un coup de poker : elle bombarde l’ouvrier qui a le plus d’accidents au poste de chef de la sécurité ! « Il était super content. Il est venu travailler quelques heures par semaine dans un bureau et cela a permis des avancées comme des formations incendies ou l’installation d’un défibrillateur cardiaque. »

Des paris à contre courant, la jeune quadra en a fait d’autres comme recevoir puis embaucher sans hésiter l’an dernier une comptable de… 57 ans : « on m’a dit qu’il ne fallait pas, mais c’est un cliché. Humainement avec mon mari nous avons eu le coup de cœur pour Jocelyne. » Et elle ne regrette pas une seconde. Envisagent un développement des activités des Fibreries de Touraine à l’international, Shirley Donadoni embauche ensuite un commercial de 22 ans, tout juste diplômé : « je voulais un homme car il n’y avait que des femmes dans les bureaux. » Elle avait envie de profiter des différences de points de vue pour se donner de la force, « c’est beaucoup plus intéressant. » Et là, contre l’avis de son réseau professionnel (CCI, Chambre des Métiers et de l’Artisanat), elle lui dit : « tu n’auras aucun objectif pendant les six premiers mois. » Du coup le jeune Julien apprend à découvrir son nouvel univers professionnel avant de partir sur le terrain. Il discute longuement avec l’équipe de production, cherche à comprendre comment fonctionnent les machines… Essentiel selon lui et sa boss pour maîtriser le produit sur le bout des doigts lorsqu’il doit le présenter à des clients potentiels.

Et maintenant, l’innovation…

Passant son temps à se remettre en question et ne sachant pas combien de temps elle restera dirigeante des Fibreries de Touraine, Shirley Donadoni sait que sa stratégie à contre-courant de ce qui se fait ailleurs (et que l’on pourrait comparer au fonctionnement des startups du numérique) est risquée pour une entreprise industrielle aux près de 80 ans d’existence : « économiquement, on commencera à en ressentir les bénéfices dans deux ans » estime-t-elle, sûre d’elle. Son pari : accepter de faire des bénéfices à minima pendant un temps et investir dans l’humain avant le matériel. Depuis 2013, la société est passée de 6 à 10 salariés, et il est maintenant temps de penser à l’élaboration d’une stratégie : « nous avons mis en place un comité de réflexion à 5, 58 idées en sont sorties. Il va falloir prioriser… Ce qu’il nous faut c’est innover. Nous avons par exemple perdu un marché à cause de l’apparition de la fibre papier couleur, du coup on réfléchit à une façon de proposer de la fibre de bois colorée. Et là nous serions les seuls à le faire. »

Olivier COLLET

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