En fauteuil roulant, des obstacles à chaque coin de rue

Cette jeune architecte passe trois semaines dans la peau d’une personne en situation de handicap, pour rendre plus accessibles ses futurs projets et ainsi favoriser l’autonomie de tous.

On a rendez-vous avec Cécile Bregeard Place Jean Jaurès : « d’habitude, pour venir en centre-ville depuis mon bureau de Tours Nord, je mets 20 minutes. » Aujourd’hui, elle a prévu deux fois plus de temps. Parce que pendant trois semaines elle fait l’expérience de se déplacer en fauteuil roulant dans la ville, et que ça complexifie son quotidien. Des exemples, cette jeune architecte de 29 ans installée à Tours depuis 3 ans et spécialiste des questions d’accessibilité (« ça représente 70% de mon activité »), elle en a à la pelle : « avant j’avais l’habitude de me garer Place de la Résistance, mais avec les pavés c’est trop compliqué. On ne peut pas passer sur le trottoir qui longe le jardin Botanique, il n’est pas adapté. Il faut aller en face, du côté de l’hôpital. J’ai failli tomber devant l’Opéra, les pavés sont très glissants. J’habite en rez-de-jardin à La Riche mais je ne peux plus sortir dans mon jardin car il faut franchir le seuil de la porte fenêtre qui fait 4cm de haut. »

Depuis deux semaines qu’elle ne marche plus (hormis pour promener son grand chien le soir), Cécile Bregeard doit en permanence composer avec son environnement : « L’autre jour je suis venue déposer un dossier à la mairie de Tours. Pour aller au service urbanisme, j’ai dû prendre un ascenseur pour monter au premier, traverser la passerelle, redescendre au rez-de-chaussée avec un autre ascenseur puis remonter au deuxième avec un dernier ascenseur. » Quant à la visite qu’elle a prévu à la guinguette de Tours ce week-end, elle l’angoisse d’avance. Notamment à cause de la pente qui descend de la Fac des Tanneurs, très raide et avec de gros pavés. « La seule solution c’est de se garer sur les quais en voiture… Mais encore faut-il trouver de la place. C’est quand même dommage que les personnes en fauteuil roulant ne puissent pas profiter du bord de l’eau… »

Si elle salue les efforts de la municipalité pour améliorer l’accessibilité, notamment sur les trottoirs, la jeune architecte déplore que l’on ne puisse pas « passer d’un quartier à l’autre sans difficultés. Ca manque de cheminements. J’ai failli me retrouver sur la route plusieurs fois à cause des dévers (des pentes, ndlr). » Autre souci : les commerces, « ils sont nombreux à avoir des marches et pas toujours de rampe ou de bouton d’appel. Parfois les commerçants me disent qu’ils n’ont pas besoin de faire de travaux d’accessibilité parce qu’ils n’ont pas de clients en fauteuil roulant. Mais c’est parce que les personnes en situation de handicap qui se retrouvent face à des marches préfèrent aller ailleurs pour éviter les difficultés. » Des consommateurs qui sont d’ailleurs en droit de porter plainte contre les commerçants si l’accès leur est compliqué, ces derniers risquent alors une amende, sauf s’ils ont programmé des travaux.

Car il faut rappeler qu’en 2005, le gouvernement a voté une loi obligeant les pouvoirs publics et les acteurs privés à se mettre aux normes d’accessibilité. Un texte dont l’application est plus que laborieuse. Un seul exemple : Cécile Bregeard qui a débuté ses études en 2004 n’en a découvert l’existence qu’en 2012, au travail, « et j’ai dû faire une formation pour bien la comprendre. »

La jeune femme, également militante au sein de l’Association des Paralysés de France (APF), estime « que l’on ne considère pas assez l’accessibilité comme un confort pour tout le monde et on sectorise encore trop les différents handicaps. Pendant mon expérience, j’essaie d’avoir en permanence un œil sur les autres types de handicap (visuel, auditif, cognitif…). Ca me permet de réfléchir autrement sur ma façon de travailler. Maintenant, je serai intransigeante alors qu’avant j’avais tendance à avoir de la compassion pour certains commerçants. »

Si Cécile Bregeard estime que la loi de 2005 aurait dû être modulée pour mieux correspondre aux différents types de structures, elle est persuadée que « si l’accessibilité est bien pensée, ce n’est pas un surcoût pour les chantiers. » Et d’ajouter : « mais bien souvent, on s’en rend compte trop tard. Comme pour la nouvelle Passerelle Fournier entre la Rue Edouard Vaillant et le Sanitas où les concepteurs du projet se sont rendus compte trop tard qu’il fallait prévoir des paliers de repos sur les rampes d’accès et ils se sont plaints d’un surcoût. Mais le problème, c’est que les maîtres d’ouvrage ne se demandent pas qui va utiliser la construction. »

Du coup pour l’architecte tourangelle, par ailleurs enseignante en école d’ergothérapie, « on gagne à être accompagné par des associations. On devrait régulièrement organiser des réunions avec des personnes en situation de handicap. Le mieux pour comprendre, c’est de rencontrer les gens. Il y a une réflexion globale à avoir. L’accessibilité doit vraiment être dans la ligne de mire des politiques. » En tout cas elle assure que même si elle était déjà spécialiste de la question, ces nombreux jours passés en fauteuil roulant vont considérablement faire évoluer sa façon de travailler.

Olivier COLLET

Cécile Bregeard tient un blog sur son expérience en fauteuil roulant : http://www.commesurdesroulettes-criau.com/author/commesurdesroulettes-criau/. Elle prépare aussi le lancement d’une association, CRIAU, un Centre de Recherche et d’Innovation pour l’Accessibilité Universelle.

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