La grande interview de Jean-Marie Beffara

Le député PS du Lochois évoque le quinquennat Hollande, la primaire, Marisol Touraine, l’agriculture, Macron, Tours Métropole, la dangerosité de la D943…

Jean-Marie Beffara est assez singulier dans le paysage politique tourangeau. On le voit souvent, mais on l’entend assez peu. Contrairement à ses deux collègues socialistes Jean-Patrick Gille et Laurent Baumel, le député du Lochois – suppléant de Marisol Touraine lors des élections de 2012 mais titulaire du fauteuil à l’Assemblée depuis l’entrée au gouvernement de l’actuelle ministre de la santé – n’est pas un adepte des petites phrases. Alors que la fin de son mandat approche, que Marisol Touraine repart en campagne sur ses terres et que la gauche s’apprête à vivre une année déterminante, il nous a accordé un long entretien, souvent sur la défensive, pesant beaucoup ses mots… Mais en lisant entre les lignes, on réussit à y voir plus clair sur sa philosophie.

 

Vos deux collègues députés PS d’Indre-et-Loire Gille et Baumel ont souvent fait part de leurs réticences voire de leur opposition aux réformes menées par le gouvernement Hollande… Vous, vous avez été plus discret. Vous vous êtes astreint un certain droit de réserve en tant que suppléant de Marisol Touraine, ministre de ce même gouvernement ?

Je suis député à part entière et je n’ai jamais eu à prendre en compte le fait d’être suppléant de Marisol Touraine. En tant que député c’est dans l’hémicycle que ça se joue et mes états d’âme ont peu d’intérêt. J’ai pu faire évoluer un certain nombre de textes, comme la loi Travail sur laquelle j’ai beaucoup travaillé avec Christophe Sirugue (aujourd’hui secrétaire d’Etat à l’industrie, ndlr) lorsqu’il en était le rapporteur. Ce que j’avais à dire, je l’ai toujours dit dans le cadre du travail plutôt que dans des déclarations publiques. C’est le cas aussi pour la déchéance de nationalité. Ce n’est pas parce que je ne faisais pas de grandes déclarations que je ne travaillais pas. Alors qu’un de mes collègues, je ne l’ai jamais vu dans les commissions…

« Il faudra reparler de l’agrandissement de la région Centre-Val de Loire. »

Qu’est-ce que vous pensez vraiment du bilan du quinquennat de François Hollande ?

L’histoire jugera. Dans les mois et années qui viennent il y aura une relecture de ce quinquennat et parmi les gouvernements de gauche, on verra que c’est celui qui a fait le plus de choses. Il y a un certain nombre de sujets dont je suis fier comme la réforme des collectivités. La réforme des régions, des départements et des communautés de communes. Ca fait dix ans qu’on en parle et qu’on a des commissions sur le sujet mais rien n’a jamais abouti. Aujourd’hui c’est fait, des communautés de communes ont fusionné ici en Indre-et-Loire, il y a des communes nouvelles qui arrivent, la métropole sera effective dans quelques semaines à Tours… Tout ça c’est à mettre au crédit de ce gouvernement. Sur autres sujets comme les droits sociaux il y a l’arrivée du compte pénibilité, la possibilité de partir à la retraite à 60 ans si on a commencé à travailler tôt, la prime d’activité ouverte aux jeunes… C’est la première fois qu’une mesure pour le pouvoir d’achat est ouverte aux jeunes et ça permet à ceux qui sont à temps partiel de toucher un complément allant jusqu’à 200€ par mois.

Vous évoquez la réforme des régions… Sur ce point, est-ce qu’on n’a pas raté quelque chose en Centre-Val de Loire en ne fusionnant pas avec les Pays de la Loire ?

J’ai défendu jusqu’au bout l’idée de cette fusion. D’abord parce que l’on a la Loire en commun, mais aussi un certain nombre de centres de recherches ou pôles d’excellence partagées. Je m’étais d’ailleurs abstenu en première instance car je jugeais que le compte n’y était pas pour notre région. On n’a pas gagné ce combat pour des raisons plus propres à une absence de clarification entre l’avenir de la Bretagne et de la Loire Atlantique que sur des éléments tenant à la région. Alors, pour l’instant, ne pas avoir fusionné c’est un avantage car l’exécutif peut se consacrer pleinement au développement de politiques là ou d’autres régions sont freinées par leur réorganisation. Mais d’ici la fin du mandat il faudra se réinterroger. Rien n’est définitif. A l’occasion d’une révision territoriale il faudra reposer la question de l’agrandissement de la région Centre-Val de Loire vers les Pays de la Loire. Durablement, on ne pourra pas rester la plus petite région, on aurait moins de capacités d’action.

« Le CPA c’est sans doute aussi important que les 35h. »

Ce mandat a été marqué par des manifestations tous azimuts… Du mariage pour tous à la loi Travail en passant par des manifestations de policiers, d’avocats ou de toutes les professions de santé. C’est François Hollande qui ne sait pas dialoguer avec le peuple pour expliquer ses réformes ou ça veut dire que la France est impossible à réformer sans colères noires ?

Sûrement que dans sa façon d’incarner la présidence ou de communiquer, François Hollande a créé un décalage entre ce que les Français attendaient et ce qu’il a laissé paraître. Mais je veux dire qu’il est normal que sur des réformes importantes, ceux qui les contestent se fassent entendre. S’il y a eu beaucoup de manifestations c’est justement que ces réformes sont importantes. C’est la démocratie. Le pays est difficile à réformer car lorsqu’une réforme porte atteinte aux intérêts des uns ou des autres il y a forcément un réflexe de défense. Mais l’intérêt général l’emporte toujours car les réformes finissent par êtres votées. Le Compte Personnel d’Activité (CPA, qui vient d’entrer en vigueur, ndlr) c’est une grande réforme, c’est le début de la sécurité sociale professionnelle. Les hommes et femmes de gauche se battent depuis le début des années 90 pour ça. C’est sûrement aussi important que les 35h même si l’on en mesure pas tous les effets aujourd’hui. Les droits seront désormais attachés à une personne et non à son entreprise : c’est un vrai changement.

La gauche semble aujourd’hui complètement effritée… La faute à qui ?

Je n’ai pas le sentiment d’une gauche en miettes. La gauche a toujours été diverse. En 2012, il y avait déjà plusieurs candidats. On a toujours eu cette culture de la diversité des sensibilités. Mais avec la montée de FN et le tripartisme qui s’installe, la diversité de la gauche devient un sujet d’inquiétude quant à sa présence au deuxième tour. La nouveauté c’est aussi qu’un certain nombre d’élus n’ont pas été dans une politique de solidarité avec l’exécutif. Je ne suis pas là pour donner des bons points aux uns ou autres. Une minorité de membres a choisi de ne pas se rallier à la position de la majorité, ça a pu causer du tort. Mais à ce stade, l’avenir du PS m’importe peu. ce qui m’importe c’est que la gauche soit en mesure de porter un projet pour la présidentielle.

« Certains n’ont pas su faire de concessions dans ce quinquennat. »

Justement, on vient d’assister à deux débats dans le cadre de la primaire de la gauche… Pour qui allez-vous voter ?

Je ferai peut-être part de mon choix après le premier tour. Ce n’est pas que je suis indécis mais la primaire est un mécanisme de rassemblement. Celui qui la gagnera doit être celui le plus en capacité de rassembler, pas forcément celui dont le programme me conviendrait le mieux mais celui qui pourra prendre en compte le plus largement possible les propositions des uns et des autres pour un projet commun. Le rassemblement, ce n’est jamais naturel. Le naturel c’est souvent chacun pour soi. Et peut-être que certains n’ont pas su faire de concessions dans ce quinquennat. Maintenant, il va falloir prendre en compte les autres.

Quel est votre avis sur Emmanuel Macron ? Est-ce que, comme d’autres élus PS, vous pourriez le rejoindre ?

Quand un candidat à une élection présidentielle réunit 10 000 personnes à Paris, 5 000 à Lille, on ne peut pas faire comme si ça ne suscitait pas d’intérêt. Autour de lui il n’y a pas que des socialistes qui auraient fui le PS mais des gens toute la société. A ce stade, il n’a pas encore mon intérêt. Mais après la primaire, il y aura une nécessité de d’avoir un candidat qui rassemble l’ensemble de la gauche, y compris une partie de ceux derrière Emmanuel Macron. Souvenez-vous des combats importants entre Mitterand et Rocard. Beaucoup pensaient que Rocard ne se retirerait jamais mais il s’est retiré. Je ne sais pas qui est Rocard et qui est Mitterrand au sein de la gauche aujourd’hui mais j’ai déjà vu des personnes irréconciliables finir par se rejoindre au nom de l’intérêt général.

Serez-vous le suppléant de Marisol Touraine pour les législatives de juin ? Après 5 ans sur le terrain, n’auriez-vous pas été légitime pour prendre la première place sur l’affiche ?

Oui, je serai suppléant. Deux valeurs m’animent en politique : la loyauté et la fidélité. J’ai construit mon parcours politique avec une fidélité à des valeurs, celles de la gauche socialiste. La même loyauté m’a toujours animé. J’ai toujours considéré que Marisol Touraine était la candidate légitime et naturelle car elle est élue ici depuis 1997. Et puis c’est aussi une question de fidélité au territoire car j’aurais pu aller ailleurs.

« Il faut augmenter le budget de la culture. »

Vous êtes récemment intervenu à l’Assemblée afin de plaider pour une augmentation du budget alloué aux salles qui mettent en valeur les musiques actuelles, comme le Temps Machine de Joué-lès-Tours ou Le Petit Faucheux à Tours. Dans la campagne présidentielle qui s’amorce, comme dans beaucoup de campagnes, on parle peu de culture. Qu’attendez-vous du futur président de la République dans ce domaine ?

On a besoin d’une politique culturelle beaucoup plus vivante, on a la chance en France d’avoir un patrimoine culturel fort, prégnant et qu’il faut continuer de valoriser. Il faut donc davantage se tourner vers la création contemporaine. En matière de musique, on a une industrie en France qui est sans doute la première industrie exportatrice mais celle qu’on aide le moins à l’export. Des auteurs font des cartons aux USA ou au Canada mais on ne les aide pas. La culture doit se tourner davantage vers eux. La musique, le cinéma ou le monde du jeu vidéo. On a des talents en matière de graphisme, de conception, de scénarios… Il faut que les Directions Régionales des Affaires Culturelles ouvrent un peu les portes et les fenêtres et s’ouvrent à ce type de culture contemporaine. Plus généralement, je pense qu’il faudrait que le budget de la culture atteigne les 2% du budget total.

« Il faut un rapprochement des agences de développement économique en Touraine. »

Vous êtes député de St-Pierre-des-Corps, Chambray-lès-Tours ou St Avertin qui devraient bientôt faire partie de la métropole de Tours mais aussi député de Loches et d’un territoire très rural. Comment faire en sorte que la métropole n’éclipse pas les petites communes alors qu’elle risque de concentrer tous les regards et les investissements ?

Je me suis battu avec les autres élus du département pour que Tours Métropole puisse voir le jour. Ce doit être une chance pour l’ensemble du département et pas seulement l’agglo. Cette évolution en métropole doit s’accompagner d’une plus grande synergie entre les territoires. Sur le Lochois, 4 communautés de communes ont fusionné, Loches Touraine du Sud est la deuxième intercommunalité du département avec 58 000 hab. Je crois beaucoup aux synergies et pas à la concurrence. Ce que je souhaite, c’est la création d’une instance ou les présidents de communautés de communes se réunissent ensemble. Je plaide aussi pour le rapprochement des agences de développement économique. Évidemment la métropole est attractive mais a-t-elle la réponse à toutes les opportunités qui peuvent se présenter ? Je me souviens ainsi avoir travaillé avec Jean Germain sur l’arrivée d’entreprises à Sorigny car sur les zones d’activité de l’agglo ce n’était pas possible.

On sort d’une année 2016 catastrophique pour l’agriculture dans notre région… Entre la crise sur les prix et les difficultés météo. Comment garantir un avenir aux agriculteurs qui veulent proposer des produits de qualité à un prix décent pour eux et le consommateur ?

2016 a été difficile mais faisait suite à des années déjà pas faciles. Les cours se sont effondrés dans toutes les filières. Le gouvernement a fait en sorte d’aider mais quand la crise n’est plus conjoncturelle mais structurelle et va durer, les mesures d’accompagnement ne font que reculer difficulté. Aujourd’hui, on doit s’interroger en pondeur sur le modèle de l’agriculture en France. Notamment dans notre dépendance aux cours mondiaux. En France 90% de la production est consommée ici et pourtant 100% de la production est soumise à l’application des cours mondiaux. Il y a dans la relocalisation d’un certain nombre de productions sans doute une perspective d’augmentation des revenus des agriculteurs. Il y en a qui en profitent déjà en vendant en local ou en transformant leur production.

« Il ne faut pas renoncer à éradiquer le terrorisme. »

Évoquons les questions sécuritaires… Est-ce que l’Etat d’urgence n’a pas assez duré ? On a notamment vu qu’il ne permettait pas d’empêcher tous les attentats…

Mais ceux qu’il a empêchés on ne va pas s’en plaindre. J’entends bien ceux qui considèrent que ça a assez durer. Mais est-ce que ça a vraiment changer quelque chose dans votre vie ? Après Charlie Hebdo, l’Hyper Cacher, le Bataclan, les terrasses, le Stade France, St-Etienne-du-Rouvray, Nice… A chaque fois je me suis dit qu’est-ce qu’on n’a pas fait et qu’on aurait pu faire pour l’empêcher ? Si on ne fait pas tout ce qui est en notre pouvoir, on ouvre la porte à l’explosion de la société. Le devoir du gouvernement est de tout faire pour conserver la sécurité. Aujourd’hui c’est l’état d’urgence. Cela dit, vivre sous un état d’urgence permanent voudrait dire renoncer à éradiquer menace terrorisme et, non, moi je ne renonce pas à cela.

Dernier sujet : dans votre circonscription, on constate un nombre important d’accidents graves, comme souvent en milieu rural. Récemment, plusieurs élus se sont agacés de la dangerosité de la D943 en appelant l’Etat à soutenir la sécurisation de cette route, dont la gestion a été transférée au département. L’Etat a-t-il les moyens de soutenir ce type de projets ?

Vous ne m’entendrez jamais réagir à travers d’un fait divers pour en faire mon miel politique. Je suis en pleine compassion avec la famille et les collègues de la victime. Je veux bien que certains s’émeuvent mais ils sont aux responsabilités depuis longtemps. La D943 est dangereuse, a fait l’objet de travaux sur certaines portions, elle aurait besoin de travaux avec des carrefours sécurisés et des zones de dépassements… Quand Marisol Touraine était présidente du Conseil Départemental elle l’avait inscrite comme une priorité. Visiblement, rien n’a été fait. En 1997-1998, 100 millions de francs avaient été mis sur la 943 pour faire un aménagement entre Chambray et Cormery. Il aurait ensuite fallu dire que ces routes restaient nationales pour qu’elles soient entretenues par l’Etat. D’autres régions l’ont fait.

Propos recueillis par Olivier COLLET

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