GRANDE ENQUÊTE : A quand du changement pour la Rabaterie ?

Le quartier de St-Pierre-des-Corps semble frustré, oublié, mais beaucoup continuent de l’aimer et de croire en lui. Témoignages et opinions.

Ils sont plusieurs à nous parler de la Rabaterie comme d’un village. Un quartier situé à dix minutes de la gare de St-Pierre-des-Corps, et à dix minutes de bus du centre de Tours. 5 000 personnes y résident, et on y trouve 43% de logements sociaux. Mais on sent aussi de la tristesse, de l’ennuie, du fatalisme. Plus les mois passent plus les malaises semblent nombreux, par exemple lorsque l’on évoque la sécurité.

« On est dans une zone de non droit » lâche très vite Nathalie Ferreira, coiffeuse sur le partie est du centre commercial depuis 1998. Ca fait quelques mois qu’elle anime une page Facebook pour témoigner de son quotidien : « c’est très compliqué depuis 2013. Il y a du trafic de drogue et c’est de pire en pire » confie la vice-présidente de l’union commerciale qui a déposé plusieurs plaintes : « ils ne sont pas nombreux, une dizaine ou une douzaine mais ils sont là en permanence. Un jour on a voulu me taper parce que j’avais demandé à baisser la musique. On a aussi jeté un pavé sur ma vitrine, mis de la colle dans la serrure de ma grille… J’ai réussi à identifier un jeune mais il n’y a pas eu de suites. »

Des histoires, la coiffeuse en a encore d’autres : des menaces ou des remarques parce qu’elle est une femme, des enfants à qui l’on demanderait de faire le guet pendant les vacances, « et une fois j’ai vu quelqu’un sortir un revolver ». Selon elle, même la police n’arrive pas à faire retomber cette pression : « quand un jeune est arrêté, au moment où il revient dans le quartier les autres l’applaudissent comme un héros. La police se fait insulter et est obligée de filer. J’ai déjà vu leurs voitures encerclées. »* Une situation concentrée sur un petit périmètre, la moitié du centre commercial : « plus ça va, moins j’ai de clientes. Certaines ont peur de venir. Les affaires pourraient être meilleures, c’est un désastre de ne plus avoir de locomotive alimentaire (avant il y avait un supermarché, ndlr). »

« Il faut des caméras de surveillance »

Juste à côté, le Dr François et son épouse, le Dr Garreau-François, partagent ce point de vue : « on en a ras le bol de travailler avec du bruit en permanence : des cris, des rodéos, des crachats, aussi. Et on doit souvent laver nous-mêmes. Cet été, on a carrément pris les chaises de notre salle d’attente pour les installer dehors. » « Ces personnes ne sont pas méchantes et acceptent souvent de se déplacer » tempèrent les praticiens qui dénoncent les abus d’une minorité de jeunes hommes : « on a franchi une barrière après certaines actions criminelles. Même les aînés ne leur font pas entendre raison. » A la fin de l’été, le couple a envisagé de partir, alors même que la commune manque déjà cruellement de médecins…

Attachés au quartier et à leur clientèle, nos interlocuteurs proposent donc leurs solutions : des caméras de surveillance, notamment, l’ouverture d’un poste de police municipale, la fermeture d’une des entrées du parking côté est pour limiter les va-et-vient ainsi qu’un projet de végétalisation des lieux pour leur donner plus d’attrait. Mais ils insistent surtout sur le manque de médiateurs de quartier pour encadrer les jeunes : « on a besoin de renouer des contacts pour les raisonner. » Un discours qu’ils ont essayé de porter auprès de la municipalité via plusieurs rendez-vous avec Marie-France Beaufils, la sénatrice-maire. Faute d’être entendus, des courriers sont aussi partis vers le bureau du préfet, du président de la Chambre des Métiers et de l’Artisanat ou du président de la Chambre de Commerce et d’Industrie.

Dans une lettre du 16 mars au ton inhabituellement sec pour un échange politique, Gérard Bobier, à la tête de la CMA, écrit « son exaspération et sa colère » à Mme Beaufils. Il dénonce ainsi son « immobilisme » et son « indifférence totale » pour résoudre les problèmes d’insécurité. L’élue lui a répondu deux semaines plus tard, critiquant le ton de sa missive et préférant rebondir sur les difficultés économiques : « l’appauvrissement des ménages modestes, familles ou retraités qui vivent dans le quartier, ne va pas dans le sens du développement du commerce de proximité. » Elle regrette aussi la politique des propriétaires des cellules commerciales : « leur souci n’est pas de créer une dynamique globale et cohérent qui favoriserait la commercialité du site. »

« On a abandonné la jeunesse »

Ce constat, Marie-France Beaufils le tient d’une étude faite sur le potentiel du centre. Un document sur son bureau depuis un an mais qui ne sera officiellement présenté aux services de Tour(s)Plus que le mois prochain (sic). Elle en fait une conclusion fataliste : « l’EPARECA n’avance pas de pistes, de solutions concrètes qui nous permettraient de sauver les commerces existants en souffrance. » De son côté la ville plancherait sur une évolution du centre commercial en pôle santé. « N’’affirmez pas que c’est le mode de consommation de la population ou son appauvrissement qui est responsable de la situation. Mais c’est bien lié à l’environnement tous les désagréments : les actes d’incivilité récurrents, les provocations, le parking sale » lui répond sèchement la coiffeuse Nathalie Ferreira : « je pense que sur l’autel de la paix sociale et électorale vous avez décidé de sacrifier le quartier de la Rabaterie pour ne pas déplacer le problème » poursuit-elle encore dans un courrier du printemps notant que les soucis avaient été pointés dès 2010 lors d’une précédente étude de l’EPARECA.

Agacée, l’élue communiste nous répond s’estimant injustement incriminée : « j’ai sollicité plusieurs fois le procureur, le préfet ou le commissaire central. C’est avec la police que l’on peut traiter ces sujets. Tout trafic doit être constaté pour que des choses puissent êtres faites. Il y a eu un certain nombre d’interventions et il y en a toujours. De ce que me dit le commissaire, il n’a pas réussi à prendre les gens sur le fait. A ma connaissance la police continue d’intervenir et je n’ai pas entendu parler d’incapacité à mener des opérations. »** Au sujet des caméras sollicitées par plusieurs acteurs : « ça ne donnera rien car ils savent bien se placer de façon à ce qu’ils ne prennent pas leur visage. Si c’est simplement pour déplacer le trafic à un autre endroit on n’aura pas résolu le problème pour l’ensemble des habitants. »

Un point de vue critiqué, jusque dans la propre majorité de Marie-France Beaufils où des voix s’élèvent pour faire remarquer son « inaction la plus totale » : « on est en train de ghettoïser ce quartier. Ca fait dix ans que ça se dégrade vraiment, on le voit. Récemment un scooter a foncé sur un gamin qui a eu des dents cassées. ‘Ce n’est pas grave, ses dents vont repousser’ m’a-t-on dit » s’alarme une élue qui préfère éviter la Rabaterie le soir à cause de réflexions sexistes notamment : « on n’a même pas d’adjoint au maire en charge de la sécurité et on n’a pas non plus un service assez important pour l’enfance et la jeunesse, plusieurs agents souhaitent quitter la ville. On a abandonné la jeunesse, aucun travail de fond n’a été fait, l’axe de prévention n’est pas là. Les ados de 16-17 ans ils sont encore à un stade où l’on peut les récupérer. Il faut reprendre le travail à la base : nos écoles sont dans un état lamentable. On demande aux parents de recoudre des tapis de motricité par exemple. Marie-France Beaufils ne fait pas son boulot, j’ai l’impression qu’elle s’en fiche, il n’y a aucun projet. Il est temps de réagir ! »

« Il y a un souci de mixité sociale qui s’accentue »

Des accusations que la sénatrice-maire réfute : « on est en train de travailler avec l’agglo sur le sujet notamment pour le centre commercial. C’est un site que l’on a restructuré il y a une quinzaine d’années, notamment en rachetant le parking. L’autre aspect sur lequel on travaille c’est le renforcement de l’activité municipale en direction des jeunes, à la fois sur le service municipal de la jeunesse et la médiation sociale. Il faut tirer les jeunes qui se laissent entraîner dans les trafics à faire autre chose. Mais c’est difficile de renforcer les moyens face à la baisse des dotations de l’Etat. Le Conseil Départemental nous a supprimé un poste d’éducateur en le redéployant ailleurs. J’ai interpellé son président Jean-Gérard Paumier (en plus élu du canton, ndlr) pour qu’il revienne sur sa décision. Pour le moment je n’ai pas eu de réponse positive.*** »

Dans les locaux du Patronage Laïque, Olivier Jacopit travaille pour l’association depuis 20 ans. Située au cœur du quartier, elle gère les centres de loisirs, les pauses méridiennes dans les écoles ou encore les TAP (activités périscolaires après la classe). La structure emploi une cinquantaine de personnes en CDI et une vingtaine de vacataires. Les propos de ce directeur sont essentiels pour bien comprendre l’ambiance du quartier et la politique de la ville en matière de jeunesse que l’on a évoqué juste au-dessus…

« La Rabaterie, c’est un village dans la ville avec ses propres codes. Elle est coupée en deux : d’un côté le Grand Mail avec une population essentiellement nord-africaine et de l’autre le Petit Mail avec de nouveaux arrivants comme des familles des pays de l’Est ou des Comores. Il y a un souci de mixité sociale qui s’accentue depuis une dizaine d’années. On le sent assez fortement dès l’école mais ce n’est pas pour ça qu’il n’y a pas d’ouverture, que les enfants ne sont pas preneurs lors de nos activités. On observe tout de même un repli communautaire : les habitants se retrouvent autour de ce qui les rassemble : essentiellement la religion. La conséquence c’est que dans leur construction identitaire, les enfants peuvent être amenés à se revendiquer arabes ou musulmans. Il y a une culture du rejet de la France représentée par le gouvernement ce que je comprends car la politique intérieure exercée depuis des années a contribué à ça. »

« La seule chose sur laquelle on peut agir, c’est les enfants »

Olivier Jacopit reconnait aussi que l’ambiance générale s’est dégradée à la Rabaterie, « malgré les efforts de réhabilitation du quartier » : « sans la justifier, la délinquance, on peut l’expliquer. C’est plus facile de rester au sein de son quartier dans lequel on a évolué, de glisser vers l’économie parallèle qui peut rapporter de l’argent facilement plutôt que de fournir un effort considérable. La démarche de chercher du travail peut être compliquée à cause par exemple de la discrimination au faciès. En fait c’est une question de citoyenneté qui se pose : ‘comment je prends ma place dans la société ? Comment se sentir citoyen en France où je vis depuis 30 ans sans avoir le droit de voter ?’ »

Pour le représentant du Patronage Laïque, « pas question de dépeindre ‘quartier = pauvreté = délinquance’, c’est un cliché même si ça fait partie de la vérité. Ca concerne une poignée de personnes, une dizaine. Cette délinquance a pignon sur rue, tout le monde sait où sont les lieux de deal. Il y a une tolérance des habitants. Ca les gêne mais ils laissent faire. Il suffirait que 4-5 familles qui ont du poids disent ‘ça suffit’ mais ça ne se fait pas. Je ne juge pas. » Et Olivier Jacopit de poursuivre : « je ne crois pas que les difficultés soient forcément liées à un repli communautaire mais sûrement aussi aux conditions de vie. Le chômage est très élevé, surtout chez les jeunes. On sent bien ces difficultés avec les familles que l’on accueille pour les centres de loisirs, alors on trouve des solutions pour que les factures soient payées sans pression ni menace derrière… »

« La seule chose sur laquelle on peut agir, c’est les enfants » insiste bien le travailleur associatif qui regrette lui aussi le manque d’éducateurs (il n’y en a que 3 et encore ils ne sont pas au centre de la Rabaterie mais rue Pierre Curie) : « ce qu’il faut c’est de vrais acteurs professionnels qui connaissent les ficelles. Et si on veut mieux faire, il faut mettre des moyens. Pour l’instant ça n’existe pas, où on ne veut pas en mettre. Et puis, les éducateurs doivent être payés correctement, c’est éprouvant pour eux. »

« Laissez-nous le temps de travailler »

Olivier Jacopit fait aussi un constat implacable : les habitants ne sont pas assez associés à l’évolution de leur quartier… « Il y a de la volonté de la part de la mairie de créer un conseil citoyen mais on ne va pas aller chercher les gens en mettant des papiers dans les boîtes aux lettres. D’autre part, les jeunes ne s’investissent pas dans l’associatif, mais est-ce qu’on les accompagne pour ça ? On se rend bien compte quand on se retrouve autour d’une table pour des projets les habitants ne sont pas là. Les institutions ne sont pas sur le terrain, alors qui sont-elles pour aller dire aux habitants qu’il faut bien vivre ensemble ? »

On sent le désarroi d’un homme qui aime profondément son métier et le territoire sur lequel il agit mais qui peine à faire entendre son expérience : « les idées politiques ne sont pas en phase avec le quartier. Pour eux, un projet c’est une enveloppe. Le projet n’émane pas des gens qui en ont besoin. Il faut faire confiance aux gens de terrain, nous laisser le temps. Par exemple on nous demande des résultats au bout de trois mois sur un projet. Mais ce n’est pas un médicament que l’on donne, on essaie de diffuser des valeurs. Donnez-nous les moyens de fonctionner avec ces gamins pendant tout un cycle, du CP au CM2 par exemple. A ce moment-là on pourra vous dire comment ils ont évolué. Mais non, on préfère distribuer l’argent via des dispositifs qui se chevauchent les uns les autres et ne portent pas leurs fruits. »

Bientôt un projet de rénovation

Il serait faux de dire que les institutions se désintéressent du sort de la Rabaterie. Le quartier de St-Pierre-des-Corps va bénéficier de l’enveloppe de fonds de l’ANRU, le programme national de rénovation des bâtiments. On doit en savoir plus en 2017. En avril, dans un précédent article, nous notions que 2,5 millions d’euros pourraient être consacrés à cette zone-là, sans compter ce que pourrait rajouter le conseil régional du Centre-Val de Loire qui serait aussi partie prenante du projet d’évolution du secteur.

Alors que faut-il faire ? Casser des tours pour reconstruire plus petit ? Aider des entreprises à s’implanter pour créer de l’emploi ? On parle du tram aussi, évidemment : « c’est le dernier gros quartier de Tours qui ne l’a pas… » soupire Olivier Jacopit, avant de nuancer : « ça permettrait d’aller plus facilement à Tours, ok… mais pour quoi faire ? On peut être allégé lorsque l’on sort d’un quartier mais c’est aussi un cocon protecteur. » Une thèse également soutenue par Nicolas Oppenchaim, maître de conférence en sociologie, qui s’exprimait lors d’une conférence des Salons du lycée Choiseul vendredi dernier à Tours : « voir la richesse est-ce que cela ne risque pas d’accélérer une frustration pour des personnes qui n’y ont pas accès ? Le problème des jeunes ce n’est pas les transports mais le manque de moyens de leurs parents, leurs horaires atypiques entraînant un manque d’encadrement… »

« 50 ans de politique urbaine, ça ne se casse pas comme ça, il va encore falloir des décennies » conclut Olivier Jacopit pour le Patronage Laîque. D’où l’urgence de se réunir, de mettre tout le monde – et vraiment tout le monde – autour de la table dans les plus brefs délais pour engager des actions concrètes et durables avant les prochaines échéances électorales de 2020 et profiter aussi de la révision du Plan Local d’Urbanisme corpopétrussien qui est engagée.

Bref, ça signifie un travail de concert entre la ville (qui a la compétence de la sécurité et de l’éducation), le Conseil Départemental (qui a celle de la prévention) et l’agglo (qui gère plus l’économie et la politique de la ville), en dépit des désaccords politiques. A chaque fois, il faudra impliquer habitants, associations et commerçants, mais aussi les forces de l’ordre ou les bailleurs sociaux. Il y a urgence, il faut le faire vite. L’Etat est prêt à mettre des moyens mais s’ils servent juste à rendre la Rabaterie plus esthétique sans permettre d’attaquer les problèmes à la racine les malaises reviendront tout aussi fort dans quelques années. L’avenir de 5 000 habitants est en jeu.

Olivier COLLET

*Nous avons tenté de joindre les forces de l’ordre qui n’ont pas donné suite pour l’instant.

**Au printemps nous avions également demandé à pouvoir suivre une patrouille dans ce quartier, sans réponse favorable.

***Nous sommes aussi en attente d’un retour du Conseil Départemental.

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