Esprit Féminin, Emploi Masculin : Chantal Desbordes, premier Amiral femme de la Marine

3ème épisode de notre série d’interviews de femmes au parcours atypique réalisée par 4 étudiants de l’IUT de Tours. Cette fois plongée dans l’univers militaire…

Pourriez-vous vous présenter ?

Je m’appelle Chantal DESBORDES, je suis née dans le Val de Loire. J’ai fait des études littéraires à Tours, et je m’y suis installée quand j’ai quitté la marine. Je suis la seconde d’une fratrie de 5 enfants, mon père était artisan et maman mère de famille. Il n’y avait aucune tradition militaire dans ma famille, pour moi la mer était un paysage de vacances. Jamais je n’aurais imaginé qu’elle serait davantage que ça.

Parlez-nous de votre parcours professionnel.

Je me suis engagée dans la Marine par défaut. Quand j’étais plus jeune, je voulais devenir cinéaste, débuter par le montage puis finir en réalisation, d’où mes études littéraires. Ainsi, j’ai passé le concours pour rentrer à l’IDEC mais j’ai échoué cette année-là, comme tous les autres candidats.

Une annonce de recrutement féminin dans la Marine est parue. Je ne connaissais pas ce milieu mais j’ai envoyé une lettre de candidature. À ma grande surprise, la Marine m’a répondu favorablement. J’ai alors fait un stage de formation de 5 mois entourée uniquement de femmes. Je suis sortie première de ce stage, j’ai eu le poste à Paris et j’ai fait des choses très intéressantes tout de suite.

Au moment où je me suis engagée, il y avait 196 femmes pour 70 000 hommes dans la Marine. Les chiffres sont éloquents. Je suis devenue une des 10 Officier féminin alors qu’il y avait 6 000 Officiers masculins. J’ai pu voir les bateaux dans les différentes bases, mais les femmes n’avaient pas encore le droit de naviguer.

Je suis restée plus que les 3 années annoncées et j’ai appris l’existence d’un service audiovisuel où j’ai été affectée, pendant 6 ans. J’ai passé 6 ans au service communication. Par la suite, j’ai gravi les échelons et fini par être chef de la division cinéma. C’était ma première expérience de management, j’avais sous mes ordres 80 personnes. Cela n’a pas été simple de s’imposer dans ce monde d’hommes mais pour eux je n’étais pas une menace car j’avais choisi des métiers qui n’avaient, pour les hommes, pas d’intérêt.

Ensuite, j’ai été affectée à la direction du personnel, j’étais la seule femme du service. On m’a donc confié le dossier « politique de féminisation ». Le ministre de l’époque (1980) voulait donner accès à des métiers plus techniques aux femmes et lancer une expérimentation d’embarquement des femmes. J’ai eu la mission de suivre cette expérimentation.

Après l’école navale, j’ai eu un poste « stratège » à l’état-major, notre mission était de définir ce que serait la Marine 20 ans plus tard. J’ai aussi, comme mission, d’écrire les discours du chef de l’état-major et j’écrivais dans une chronique, avec un pseudo masculin (droit de réserve militaire). Je dois à l’école mes premiers embarquements, et c’était formidable.

Tous les postes que j’ai eu ensuite sont tournés autour de l’humain et m’ont permis de monter en grade. Je vais beaucoup parcourir le champ de la formation dans trois écoles, en tant que Directrice. J’ai été nommée Amiral au conseil des ministres le 19 décembre 2001. Mon dernier poste a consisté à être l’adjointe du Directeur du personnel, j’étais chargée de trois domaines : le recrutement des marins, leur formation dans les 26 écoles et enfin leur reconversion une fois qu’ils avaient terminé leur passage dans l’institution.

Donc j’ai eu cet honneur, cette fierté d’être la première femme Amiral avec une carrière très atypique et j’ai été très heureuse de la nomination de la seconde femme amirale, 10 ans après moi, en 2012.

Je suis rentrée dans une marine, et j’en ai quitté une autre. Aujourd’hui, il y 14% de femmes et tous les métiers sont ouverts sans aucune restriction (fusilier marin, commando, pilote de chasse embarqué…)

Quels ont été les obstacles majeurs que vous avez rencontrés pour en arriver là ?

Il est difficile d’exister dans un contexte pareil : femme,  littéraire et sédentaire. Ma première attitude consistait à regarder comment les choses se passaient et essayer de comprendre les attitudes, les règles, dont certaines me paraissaient insolites. La Marine m’a attachée par sa technicité, ses traditions et l’esprit d’équipage. En revanche, j’ai évité d’afficher une forme de féminisme. J’ai préféré une stratégie de douceur, passer à l’action mais sans révolution. J’ai beaucoup apprécié travailler avec des hommes car leur esprit de géométrie faisait bien écho à mon esprit de finesse et ils m’ont appris la synthèse. De mon côté je leur ai appris à nourrir une synthèse. J’avais le sentiment d’une complémentarité et j’ai vite compris que la seule façon de m’imposer c’était la compétence.

Je regrette simplement que dans le débat hommes/femmes il y ait confusion entre « égalité » et « identité ». L’égalité est souvent entendue comme l’égalitarisme qui nivelle tout en niant les différences. Or moi je pense que la société est intéressante et riche lorsqu’elle est diverse.

Avez-vous déjà eu des retours négatifs par rapport au métier que vous exercez ?

En France, il y a une curieuse attitude vis-à-vis de l’armée, à la fois beaucoup de sympathie mais les personnes voient aussi les militaires comme des gens psychorigides et autoritaires alors que beaucoup ne sont pas comme ça. C’est peut-être le côté rigueur qui donne cet effet-là.

De plus, j’en ai souvent discuté avec d’autres femmes, et cela peut aussi nous jouer des tours dans notre vie affective. Elles m’ont expliqué – et je l’ai aussi vécu – que lorsqu’elles fréquentaient des hommes, au moment où ils ont su qu’elles étaient militaires, ils levaient tout de suite le pied en se rétractant. Nous sommes victimes de ce côté autoritaire et cela fait peur aux hommes.

Comment vos proches perçoivent-ils le fait que vous exerciez ce métier ?

Quand mes parents ont su que je m’engageais dans l’armée au lieu du cinéma, ils ont été un peu rassurés. Et il n’y avait pas ce risque d’éloignement car je n’avais pas le droit d’embarquer. Cela a été plutôt de la fierté, mon père était très fier de moi. J’ai deux sœurs qui ont aussi choisi des métiers « d’hommes ».

Avez-vous une anecdote, un fait qui vous a marqué dans votre profession ?

J’ai perdu lors d’un cross, un officier marinier, 40 ans, grand sportif qui est mort étouffé en régurgitant un morceau de nourriture. Je devais annoncer à son épouse, qui l’attendait sur le parking de l’école, que son mari était décédé. Ces instants ont été les plus longs et les plus lourds de ma vie, même si je n’étais pas responsable de son décès. Je devais annoncer cette épouvantable nouvelle et c’est ça la grandeur du commandement. C’est au commandant de punir, d’annoncer les mauvaises nouvelles, de récompenser et de féliciter.

Que diriez-vous à une femme qui hésiterait à se lancer dans un métier où beaucoup sont des hommes ?

Qu’il ne faut absolument pas avoir peur car la peur n’évite pas le danger. L’hésitation et la peur sont les grands freins de l’existence. Je pense que toute la vie, consiste à nous connaître et à lutter contre ces peurs, et les femmes en général hésitent à se mettre en avant car elles ont peur de ne pas être à la hauteur et du « qu’en dira-t-on ». Et si ces femmes franchissent le pas, elles verront qu’il est intéressant de travailler dans un monde masculin. Il faut que les deux parties jouent le jeu et rien n’est possible si personne ne fait un bout de chemin vers l’autre. Donc je leur dirais allez-y ! Si vous voulez rejoindre l’armée notamment, un monde encore très masculin, vous verrez que nos métiers ont du sens parce que nos métiers sont risqués et qu’il y a un esprit d’équipe encore très fort. Qu’elles viennent et à mon avis, elles ne seront pas déçues !

Propos recueillis par Anaïs BOURDONNET, Lucile BERNARD, Marine BRUNET et Clément MIRANDA

Autres interviews à lire :Marie-Anne VIVANCO, co-gérante d’une entreprise de BTP et Maud MATHIE, formatrice dans l’agriculture

 

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