Jean-Jacques Filleul : « Macron a besoin de 10 ans pour réaliser son programme »

Le sénateur PS d’Indre-et-Loire se confie longuement sur son évolution politique en faveur du candidat d’En Marche.

Au PS depuis 1974, élu dès 1983 (dont 31 ans en tant que maire de Montlouis-sur-Loire), Jean-Jacques Filleul s’apprête à prendre sa retraite de sénateur à l’issue de son mandat, en septembre. La fin de sa carrière politique se déroule néanmoins dans une actualité particulière, l’élu ayant été un des premiers à afficher ouvertement son soutien à Emmanuel Macron au sein de sa famille politique. « Famille », le mot revient d’ailleurs beaucoup dans sa bouche lorsqu’on l’interroge sur le parti. Il refuse de la quitter mais n’a pas de mots trop durs pour qualifier Benoit Hamon.

Adhérent d’En Marche, il a été voter « pour les progressistes » à la primaire de la gauche, et n’en dira pas plus. Engagé auprès de l’ancien ministre de l’économie, il travaille à ses côtés mais ne fait pas activement campagne sur le terrain. Sa sacoche est néanmoins remplie de documents estampillés « Macron ». Comment s’est opéré ce glissement sur l’échiquier politique ? Comment imagine-t-il l’éventuel mandat d’un Macron président ? Nous avons longuement pris le temps d’en discuter avec lui…

La séduction : « j’ai eu le bonheur de travailler avec lui sur la loi Macron, et je me suis rendu compte que c’était un homme différent. Il a une qualité d’écoute, une attention, un intérêt pour les autres qui m’ont marqué. Très curieusement, une bonne partie des élus qui ont travaillé avec lui sont dans En Marche. Sa loi a été co-construite entre le ministre, les services et les parlementaires. Tout le monde y a pris sa part. Une fois le texte voté, il y a eu tous les trois mois un suivi à Bercy. Je n’avais pas vu ça avant. C’est arrivé pour moi au bon moment car je souffrais depuis longtemps que le PS continue d’être un parti d’élus sans avoir affirmé une ligne politique sociale démocrate. Le dernier congrès n’a ainsi servi qu’à faire dans le consensuel pour rassembler autour du gouvernement au lieu de travailler sur la ligne politique.

Malgré tout, Jean-Jacques Filleul ne quitte pas le PS. Il a des contacts avec les élus, plus avec la direction. Il a parrainé Macron courant le risque d’une exclusion qui ne devrait finalement pas avoir lieu selon les dernières déclarations du patron du parti. « Je reste au PS parce que c’est ma famille mais on peut s’échapper du cadre de vie. Je souhaite qu’il éclaircisse sa vision politique, sociale pour des projets de société et libérale pour l’économie. Il le fera peut-être un jour. En tout cas, c’est le chemin que je devais prendre. »

Légitimiste pour Hollande… mais pas Hamon, Jean-Jacques Filleul tient à insister sur sa loyauté : « j’ai voté toutes les lois présentées par le gouvernement, j’ai toujours soutenu François Hollande même si certains textes n’allaient pas assez loin comme la loi Travail qui a été très mal expliquée, les citoyens et les syndicats l’ont donc prise en pleine figure. » Il poursuit : « aujourd’hui, il y a une antinomie au PS : le chef des frondeurs qui a été jusqu’à se dire prêt à voter une motion de censure du gouvernement défend une ligne politique qui n’est pas majoritaire et que je ne peux pas soutenir. Ce n’est pas comme ça que je vois la société française. Aujourd’hui, il faut tenir compte des réalités ce que fait Emmanuel Macron en rassemblant les progressistes. Il crée un mouvement qui n’est pas un parti, et parle aux Français, pas aux partis. En face, le PS ou LR ne sont pas attentifs aux évolutions de la société… Ils ont été cassés par la machine des primaires et sont aujourd’hui centrés sur l’élection présidentielle. »

Comme Emmanuel Macron a choisi de quitter le gouvernement suite à ses désaccords avec l’exécutif, on demande à Jean-Jacques Filleul s’il aurait pu faire la même chose : « je suis resté car j’ai considéré qu’il fallait continuer à soutenir ce gouvernement d’autant que les frondeurs ont passé leur temps à le détruire. Il faut tout de même remettre en cause ce que l’on a fait : on a plus de 3 millions de chômeurs, quelques millions de mal logés… Et puis François Hollande a passé trop de temps sur des compromis. Mais, au final, son bilan est bon, et l’histoire le jugera. »

Le sénateur d’Indre-et-Loire, qui a de la « tendresse » pour le chef de l’Etat semble ne pas savoir pour qui il roulera dans cette présidentielle, et pense d’ailleurs que ce n’est pas vraiment son rôle de s’engager. Lui a en tout cas clairement fait son choix : « ce que propose Emmanuel Macron me convient. en libérant l’économie, en donnant plus de place à l’innovation et à la créativité des gens on peut enclencher une croissance créatrice d’emplois. et en même temps protéger. Je n’aurais pas accepté une politique exclusivement libérale, il faut protéger les plus en difficulté. Leur donner une place dans la société par le travail. D’où l’intérêt d’une baisse des cotisations de 6 points et 10 points pour le SMIC qui redonnera une baisse de pouvoir d’achat. Ce sera une augmentation de 100€ pour les gens au SMIC et 4 familles sur 5 pourront bénéficier la baisse ou de la suppression de la taxe d’habitation. »

Interrogé sur le risque de créer plus d’emplois précaires avec ce type de politique, Jean-Jacques Filleul trouve la parade : « il vaut mieux rester au chômage ou travailler à temps partiel ? Le problème c’est le chômage de longue durée. Emmanuel Macron propose 1 million de formations pour des jeunes qui n’en ont pas et des adultes en situation de ne pas en trouver. Il faut réorienter les gens vers l’emploi avec des formations de 6 mois, deux ans si nécessaire pour une nouvelle qualification dans un métier différent où il y a du travail. Et si après ça les demandeurs d’emploi refusent deux offres répondant à leur qualification, alors leurs annuités chômage seront perdues. Mais désormais, tout le monde pourra toucher le chômage. Ce ne sera pas un droit mais un moyen de prendre le temps de se former et de trouver une nouvelle voie. Emmanuel Macron ne dit pas que dans 5 ans il y aura 5% de chômeurs. L’objectif c’est 7%. »

D’ailleurs, le sénateur tourangeau prévient les électeurs impatients : les choses prendront du temps : « Je pense que pour engager la politique extrêmement ambitieuse pour la France, il lui faudra sans doute deux mandats. » Il le garantit : « Emmanuel Macron respectera l’objectif d’un déficit de 3% du PIB avec 50 milliards d’euros d’investissements sur 5 ans dont 15 pour la transition écologique et 5 pour la santé mais aussi 10 milliards pour soutenir les projets des collectivités locales. 60 milliards d’économies sont aussi programmés. En améliorant la technicité des fonctionnaires, on pourra libérer (et non supprimer, il insiste sur la nuance, mais ça ressemble quand même à un bel élément de langage, ndlr) 120 000 postes dont 50 000 dans les collectivités en baissant les frais de fonctionnements ou en supprimant les départements autour de 8 grosses métropoles (Lyon, Lille, Marseille… mais pas Tours). Tout cela se fera après un long processus de négociations de 5 ans, les dotations aux collectivités ne baisseront pas mais on pourrait ainsi faire 2 milliards d’économies. »

Comment être sûr qu’Emmanuel Macron aura les leviers politiques nécessaires ? Même élu président, il lui sera difficile d’avoir une majorité à l’Assemblée Nationale ce qui retardera probablement toute réforme. Jean-Jacques Filleul ne se fait pas d’illusion et donc ne s’attend pas du tout à l’existence de cette majorité. Pour lui, mais pour les autres aussi, pense-t-il : « l’éparpillement politique est tel que personne n’aura de majorité absolue. ça va dans le bon sens à partir du moment où on est dans le compromis. Il y aura plus de place pour une élaboration collective des lois »… pour peu que les partis ne fassent pas de l’obstruction, ce qui n’est quand même pas gagné. D’ailleurs, le sénateur votera-t-il En Marche aux législatives ? « Pour l’instant je vote Macron à la présidentielle, on verra ensuite… » Etonnant.

Comment cet élu d’expérience qu’est Jean-Jacques Filleul peut être sûr que son poulain ne trahira pas les espoirs qu’il place en lui ? Là, le côté christique qu’on colle parfois à Emmanuel Macron s’inscrit en filigrane : « il a une trop grande perception de son rôle pour négliger ses promesses. Il va tout faire pour mettre la France en tête des pays européens, avoir la croissance nécessaire pour retrouver l’emploi et une dynamique économique le plus vite possible. »

Interrogé sur les différentes affaires au sujet du représentant d’En Marche (la proximité d’un de ses experts avec un laboratoire pharmaceutique ou ses frais de représentation anormalement élevés alors qu’il était au ministère de l’économie), son parrain d’Indre-et-Loire minimise : « dans son équipe il y a 400 experts dont une quarantaine pour la santé. Leur obligation c’est d’être indépendants. Lui n’avait pas donné ces intérêts et a été viré. » Pour le reste, « si la faute est prouvée ça me choquerait, mais le ministre des finances lui-même dit qu’Emmanuel Macron n’a rien à voir dans cette affaire. »

Conclusion : « si la réalité suit les sondages, Emmanuel Macron est celui qui est le plus en situation de battre Marine Le Pen » analyse encore Jean-Jacques Filleul évoquant une campagne « particulièrement difficile, pire que toutes les autres. Mais je suis fier de l’attitude de mon candidat. Malgré les coups infâmes, dont la caricature qui le montre comme un juif dans un style jamais vu depuis l’après guerre, il reste serein, veut débattre de son projet. Alors qu’en face Benoit Hamon tape à bras raccourcis. C’est une erreur politique et stratégique grave. »

Olivier COLLET

Un mot sur l’Europe… : « une Europe différenciée (comme proposée par Hollande il y a quelques jours, soutenue par Macron, ndlr), j’en rêve depuis tellement longtemps » plaide Jean-Jacques Filleul. « A 27 c’est trop complexe, il faut revenir à des cercles qui puissent accepter des évolutions. On peut changer les traités si les pays fondateurs s’entendent pour proposer une refondation. » Il évoque aussi la question des réfugiés : « l’Europe actuelle doit protéger accueillir plus de réfugiés. On n’en a pas accueilli suffisamment. Alors, s’ils sont réfugiés économiques ils doivent retourner chez-eux mais s’ils viennent en France parce qu’il y a atteinte à leur liberté ou leur droit d’existence évidemment on doit les accueillir et les intégrer. »

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