Prévention de la radicalisation : quel programme derrière les grilles de Pontourny ?

Le centre de Beaumont-en-Véron a ouvert ses portes, deux semaines avant l’arrivée de ses premiers pensionnaires « en voie de radicalisation ». Décryptage.

« Ce n’est pas simplement une opération de communication » lance en préambule le préfet d’Indre-et-Loire, Louis Le Franc. Avec une quarantaine de médias présents, dont une quinzaine de télés et même des chaînes étrangères (Japon, Grande Bretagne), ça y ressemble quand même pas mal. Ce mardi, la presse était invitée à découvrir le centre de prévention, d’insertion et de citoyenneté de Pontourny, sur la commune de Beaumont-en-Véron, le premier du genre en France (à terme, il y en aura un dans chacune des 13 régions). On peut aussi dire centre de prévention de la radicalisation voire centre de déradicalisation. Il y a même ceux qui osent le mot « colonie de vacances » (les opposants au projet et même une journaliste parisienne).

« Ce ne seront pas des terroristes »

Il faut dire que le cadre est champêtre. On est en pleine campagne, il y a un grand parc avec des gravillons, une salle de sport, des chambres spacieuses, le tout au calme… Même l’architecture est élégante. Il s’agit d’une grande bâtisse, propriété de l’Assistance Publique Hôpitaux de Paris et qui était jusqu’à récemment un centre d’accueil pour mineurs isolés géré par la mairie de Paris. Désormais, jusqu’à 25 jeunes « volontaires » de 18 à 30 ans, « hommes et femmes » pourront y être accueillis « pendant 10 mois maximum » pour un séjour dont le but sera « de développer leur esprit critique, leur redonner des perspectives et assurer leur insertion sociale, qu’ils puissent comprendre leur environnement, retrouver une capacité de discernement et leur libre-arbitre. » Voilà pour le discours des autorités qui travaillent sur le projet depuis plus de six mois, voire un an, et qui marchent sur des œufs car le dossier est sensible dans le contexte actuel post-attentats.

Il y a beaucoup de questions et au moins autant de fantasmes autour de cet équipement tourangeau. L’objectif politique est de montrer que l’on peut lutter contre le terrorisme par d’autres moyens que via des mesures ultra-sécuritaires. « Ce n’est pas une prison » répètent ainsi régulièrement nos interlocuteurs. Pas une prison mais pas une colonie non plus. Le site sera entouré par 18 caméras de surveillance dont 6 pivotantes, il y a des barreaux (stylisés) aux fenêtres et des rayons à détecteurs de mouvements à certains endroits pour éviter les fugues. Des précautions pour rassurer les voisins.

30 encadrants et des intervenants extérieurs

Des contraintes mais pas en permanence. Ainsi, au bout de 5 à 6 semaines d’internat, les pensionnaires pourront rentrer chez-eux tous les week-ends. Des sorties sont prévues pour des rendez-vous en entreprise voire des stages. Et si au bout d’un certain temps ils ne sont plus volontaires pour suivre le cursus « ils seront libres de partir » explique Pierre Pibarot, directeur du Groupement d’Intérêt Public Réinsertion et Citoyenneté. Ce qui n’empêchera pas un maintien de leur surveillance.

25 stagiaires potentiels donc… Une goutte d’eau alors que, rien qu’en Indre-et-Loire, le préfet annonce que 80 personnes sont suivies pour radicalisation. Qui est susceptible de venir à Pontourny ? « Ce seront des personnes qui auront envie de s’en sortir. Qui sont en rupture avec leur famille, leurs amis, leurs voisins. Des individus en voie de radicalisation, qui se sont égarés sur les réseaux web » précise le préfet ajoutant (là aussi plusieurs fois) « ce ne sont pas des terroristes. » De fait, « aucun ne sera suivi par la justice, aucun ne reviendra de Syrie ni d’une autre zone de combat, aucun n’aura été condamné pour des faits de violences. » Conditions sine qua non pour que les élus du Chinonais ne s’opposent pas à ce projet « imposé » par l’Etat.

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Pour les encadrer, 30 personnes, plus des intervenants extérieurs (notamment deux psychologues venus de l’Université Paris Diderot, ainsi qu’un troisième spécialiste du même établissement). 22 étaient déjà salariés du centre pour mineurs isolés de la mairie de Paris (ils sont, pour la plupart, encore en formation cette semaine). Au programme pour l’accompagnement des jeunes « une démarche inspirée de ce qui fonctionne pour la prévention de la délinquance. » Pierre Pibarot : « nous allons les aider à développer leur esprit critique, au travers de l’étude de l’histoire, de la géopolitique ou de la religion. Il y aura aussi un travail sur les médias, notamment avec Internet, pour qu’ils en aient un usage critique. S’ajoutera à cela un travail sur le vivre-ensemble au quotidien, un accompagnement médical et social en groupe ou en individuel et la préparation à une réinsertion sociale (plusieurs associations ont notamment été contactées pour être partenaires, ndlr). »

Un suivi après la sortie

Concrètement, le réveil se fera à 6h45, les activités débuteront vers 9h jusqu’à midi avant de reprendre de 14h à 17h. De 17h à 19h, des ateliers ou un suivi individuel sera proposé aux pensionnaires qui termineront la journée par des activités socio-éducatives. Une fois par semaine un lever des couleurs nationales sera effectué avec le drapeau tricolore. Il n’y aura pas d’uniforme mais « des tenues uniformisées » pour le sport, les activités du quotidien et les sorties. Un programme « complet, avec un projet individuel et une prise en charge progressive en 3 fois 3 mois avec un dernier mois de ciselage pour préparer le retour à l’extérieur. » On l’a bien compris, il n’y a donc que dans les toutes premières semaines que les jeunes seront coupés du monde. En revanche, ils auront droit à leur smartphone même si une surveillance des télécommunications a été prévue (on ne nous en a pas dit plus là-dessus).

Et après Pontourny, il se passe quoi ? « Nous continuerons un suivi de loin, notamment avec les éducateurs référents de ces jeunes qui sont également suivis par les préfectures et les services de renseignements. » D’ailleurs, il est envisageable de faire plusieurs séjours dans le centre. Et les autorités sont aussi conscientes du risque d’échec. Un comité de suivi se réunira enfin régulièrement pour évaluer le fonctionnement de cette nouvelle institution et envisager son évolution. Pontourny est clairement un pari, une expérience dans laquelle l’Etat se lance avec confiance mais aussi beaucoup d’incertitudes… Les premiers internes sont attendus d’ici la fin du mois. Ils seront moins d’une dizaine, mais les lits devraient afficher complet dès début 2017. Une chose est sûre : après les « portes ouvertes » d’aujourd’hui, micros, caméras et appareils photo sont priés de se faire discrets.

L.G.

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